Dès les années d’indépendance, les pays d’Afrique subsaharienne se sont lancés dans des processus de décolonisation de l’éducation en travaillant davantage sur la proposition de programmes éducatifs nationaux et la production des contenus locaux d’enseignement et d’apprentissage. En effet, les manuels et les méthodes héritées de l’ère coloniale étaient souvent déconnectés de la réalité quotidienne des élèves, les contraignant à étudier des contextes souvent étrangers, sans lien avec les projections des pays en termes de formation de leurs citoyens. Le besoin de décoloniser l’éducation s’est ressenti et se maintient : apprendre à lire en explorant des paysages lointains ou étudier les mathématiques sans lien avec la vie locale a accentué le décalage entre l’enseignement et la réalité quotidienne. Aujourd’hui, des initiatives se multiplient pour remédier à cette situation en promouvant une décolonisation de l’école.
Lors d’une conférence tenue en ligne le 21 en octobre 2024 et organisée par l’Université de l’état d’Amapá (UEAP) au Brésil, des acteurs du domaine éducatif ont échangé sur les moyens de construire une école qui réponde aux attentes des élèves africains. À cet égard, Bineta Ba KA du ministère de l’Éducation du Sénégal et Youssouf OUATTARA, responsable principal du projet Ressources éducatives à l’UNESCO Dakar, ont présenté devant une audience internationale l’exemple du Sénégal et des manuels scolaires. Une éducation décolonisée cherche surtout à placer les élèves au centre du système éducatif, en leur proposant des contenus et des méthodes qui leur correspondent.
Depuis la période post-indépendance, le Sénégal a œuvré pour développer une éducation en phase avec son propre héritage culturel. La Conférence d’Addis-Abeba, dans les années 1960, a marqué une première étape vers la création d’un système scolaire décolonisé. Par la suite, dans les années 1990, les États Généraux de l’Éducation ont conduit à la loi d’orientation de 1991 et à la création de l’Institut national d’étude et d’action pour le développement de l’éducation (INEADE). L’objectif est clair : concevoir des programmes éducatifs et des ouvrages qui reflètent véritablement le quotidien des élèves.
Cependant, malgré cette volonté de changement, de nombreux obstacles demeurent. Dans les années 2000, l’approvisionnement en manuels scolaires a connu des difficultés, notamment des pénuries fréquentes et des incohérences avec les programmes. Bien que des collections locales aient été produites, comme celles de Sidi et Rama, des contraintes budgétaires et des problèmes de distribution ont freiné le processus. La situation a commencé à s’améliorer lorsque le Sénégal a libéralisé le marché des manuels scolaires, permettant au secteur privé de s’impliquer dans leur production et leur diffusion. Avec le Programme Décennal de l’Éducation et de la Formation (PDEF), le pays a renforcé ses capacités locales en matière d’édition et a mis en place un système favorisant une offre plus diversifiée de manuels.
Depuis 2013, de nouvelles politiques ont été mises en place pour aligner les manuels sur les réalités des élèves. Actuellement, au Sénégal, des manuels de français et de mathématiques pour le niveau élémentaire, ainsi que des manuels de sciences physiques pour le cycle moyen, sont conçus pour intégrer l’environnement local des élèves. Par exemple, le manuel de français pour le CM1 présente des personnages dans des rôles valorisants, sans recourir à des stéréotypes, et propose des activités ancrées dans la culture sénégalaise. Le manuel de mathématiques pour le CE2 met en avant des situations tirées de la vie quotidienne des élèves, facilitant leur compréhension des concepts en lien avec leur propre réalité. Ces ouvrages s’inscrivent dans l’Approche par les Compétences, qui privilégie l’autonomie des élèves et les incite à réfléchir et à se connecter à leur environnement.
Ce tournant est fondamental : en intégrant des valeurs telles que la tolérance, la solidarité et l’esprit critique, les manuels scolaires contribuent désormais à la formation de citoyens responsables et conscients de leur identité culturelle. Bien entendu, des défis persistent. Les contraintes budgétaires et logistiques continuent parfois d’entraver la production et la distribution de ces ouvrages. Néanmoins, le processus est en cours et se renforce grâce aux échanges et aux collaborations au sein de l’Afrique francophone.
La décolonisation de l’éducation en Afrique subsaharienne n’est pas un processus instantané. Elle se dirige progressivement vers une école où chaque élève peut s’identifier à ce qu’il apprend et où les manuels abordent enfin des thématiques relatives à leur vie, à leur culture et à leurs aspirations. C’est un pas significatif vers une éducation qui, loin de former des jeunes déconnectés de leur société, les accompagne davantage dans leur développement en tant qu’acteurs de leur avenir et de leur communauté.
Le projet Ressources éducatives contribue à ce processus d’amélioration de la qualité des apprentissages dans les écoles d’Afrique subsaharienne francophone notamment par son activité d’évaluation de la qualité des manuels scolaires. Cette évaluation prend en compte divers critères permettant d’améliorer l’adéquation entre les manuels et les réalités nationales. Sur le plan pédagogique, l’évaluation s’intéresse à la contribution des manuels au développement des valeurs, s’assurant qu’ils transmettent des principes éthiques et culturels. Dans la dimension éditoriale, technique et d’ancrage socioculturel, l’accent est mis sur la vérification de l’origine des manuels, notamment si l’éditeur est national ou si les ouvrages ont été spécifiquement conçus pour le pays concerné. À ce jour, dix pays ont été évalués, et la synthèse des résultats de la Phase 1 est disponible sur le site du projet Ressources éducatives.